DÉCRYPTAGE - L’athlète algérienne a été visée par de nombreuses attaques sur sa prétendue transsexualité, après sa victoire par abandon jeudi, sur l'Italienne Angela Carini. Née femme, la boxeuse présente en réalité un taux élevé d'hormones mâles.
Les images dela boxeuse algérienne Imane Khelifont fait le tour du monde jeudi 2 août: débardeur rouge et muscles saillants, l’athlète a remporté son huitième de finale contre l'Italienne Angela Carini après seulement 46 secondes de combat, dans la catégorie des moins de 66 kg des Jeux olympiques de Paris 2024. Beaucoup plus puissante, elle a placé un direct dévastateur au niveau de la mâchoire de son adversaire italienne. Une «gifle à l'éthique du sport et à la crédibilité des JO», selonMatteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres en Italie et ancien Ministre de l'Intérieur.
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Qu'est-ce que l’hyperandrogénie?
L'hyperandrogénie désigne, chez une femme, un taux élevé d'hormones mâles (androgènes). Celles-ci sont susceptibles d'accroître la masse musculaire et d'améliorer les performances.
Pour les fédérations sportives,les cas les plus complexes d’hyperandrogénie sont liés à l’intersexualité, des situations biologiquement «floues» où il est impossible de classer des personnes dans une catégorie «homme» ou «femme». On apprend tous en cours de biologie que l’homme est porteur de chromosomes X et Y, tandis que la femme a deux chromosomes Y. Mais pour 1,7% de l’humanité, la distinction n’est pas aussi facile à faire à la naissance, selon une étude publiée dans la revue American Journal of Biology.
Il existe des cas de personnes intersexes qui se comprennent facilement: ceux à trois chromosomes sexuels, deux X et un Y, mais la majorité des cas n’est pas aussi simple, et les anomalies peuvent êtres liées à des causes génétiques mais peuvent aussi survenir à la suite de perturbations du développement avant la naissance. Et les causes peuvent alors être très diverses, que ce soit des dérèglements hormonaux, des produits chimiques perturbateurs ou la prise de médicaments pendant la grossesse.
Lespectre des conséquencesest très large: il peut se matérialiser par des différences très variées, avec des individus plus masculins ou féminins, et avec la coexistence d'organes génitaux externes (vagin, cl*tor*s, pénis, bourses). Mais, contrairement à ce qui est affirmé par de très nombreux posts sur les réseaux sociaux, il n’y a aucun rapport entre l'hyperandrogénie et la transsexualité. Les athlètes hyperandrogènes présentent simplement un excès naturel d'hormones sexuelles mâles, dont la testostérone.
Imane Khelif avait été disqualifiée en mars 2023 après «des taux élevés de testostérone» juste avant son combat pour la médaille d'or lors des Mondiaux de boxe. Le Comité olympique algérien avait annoncé après cette exclusion qu'il allait prendre «en charge l'accompagnement médical de la championne», notamment pour «les Jeux olympiques de Paris-2024», et le CIO avait validé sa participation en catégorie féminine pour ces Jeux.
Quel est son impact dans le sport?
Une étudepubliée dans le British Journal Sports of Medicine en 2021 affirme qu'un taux élevé de testostérone améliore significativement les performances physiques des femmes touchées par l'hyperandrogénie dans plusieurs disciplines sportives.
Pour les fédérations sportives, la question est tellement complexe qu’elle est considérée comme difficilement gérable. Les tests de féminité (examen gynécologique, recherche de certains gènes, etc.), mis en place dans les années 1960, ont été supprimés en 2000, rappelait en 2016 le Journal du CNRS.
Aujourd’hui, certaines fédérations évitent de trancher des questions inextricables sur le sexe des athlètes en se basant sur des limites de taux d'hormone mâle. Ainsi, du tennis au triathlon, nombre d'instances ont fixé une durée pendant laquelle le taux de testostérone ne doit pas dépasser un certain seuil. Mais plusieurs sports olympiques se distinguent: le tir, qui a conclu à «l'absence d'avantage» liée aux hormones mâles, et surtout la gymnastique ou le judo, qui n'ont adopté aucune règle internationale en la matière.
La plupart des fédérations «ont été en premier lieu demandeuses de recherche scientifique», ce qui demeure «un défi», explique à l'AFP la sociologue Madeleine Pape, spécialiste du genre et de l'inclusion au CIO, etancienne adversaire de Caster sem*nyaaux JO de 2008, autre athlète hyperandrogène.
Le médiatique précédent Caster sem*nya
Double championne olympique (2012, 2016) et triple championne du monde (2009, 2011 et 2017) du 800 m,Caster sem*nya est devenue le porte-étendardde la cause des athlètes hyperandrogènes. Âgée de 33 ans, cette Sud-Africaine a été privée de compétition en raison d'un taux de testostérone particulièrement élevé et mène une bataille devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour ne pas avoir à baisser son taux pour concourir.
Révélée au grand public aux Mondiaux de 2009 à Berlin, Caster sem*nya y avait remporté la médaille d'or du 800 mètres mais son apparence physique et sa voix grave avaient suscité débats et spéculations. L'athlète avait été interdite de compétition pendant onze mois et contrainte de subir des tests médicaux dont les résultats sont restés secrets, avant d'être finalement autorisée de nouveau à courir en juillet 2010. Mais en 2018, le règlement de World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme, a changé la donne: l’instance mondiale impose aux athlètes hyperandrogènes de faire baisser leur taux de testostérone par un traitement hormonal pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine.
Une décision refusée par Caster sem*nya, privée de concourir sur sa distance fétiche. Une bataille juridique s’en est suivie. Le règlement avait été validé l'année suivante par le Tribunal arbitral du sport (basé en Suisse), puis confirmé par le Tribunal fédéral de Lausanne, qui a mis en avant en 2020 «l'équité des compétitions» comme «principe cardinal du sport», au motif qu'un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines «un avantage insurmontable».
La Sud-Africaine a dû choisir entre «sauvegarder son intégrité et sa dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition» ou «subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif», a exposé son avocate, Shona Jolly, au mois de mai dans des propos relayés par l’AFP. L'avocate a répété lors de l'audience que «mademoiselle sem*nya est une femme. À sa naissance, on lui a assigné le sexe féminin, légalement et dans les faits».
World Athletics a même durci en 2023 son règlement concernant les athlètes hyperandrogènes, qui doivent désormais maintenir leur taux de testostérone sous le seuil de 2,5 nanomoles par litre pendant 24 mois (au lieu de 5 nanomoles pendant six mois) pour concourir dans la catégorie féminine, quelle que soit la distance.